La loi de programmation militaire : un échec pour la démocratie

19 décembre 2013 , , , , , 1 commentaire

Le gouvernement a promulgué la loi de programmation militaire (LPM) ce jeudi 19 décembre, 9 jours seulement après son adoption définitive par le sénat. En urgence donc. C’est un échec pour la démocratie.

Une loi attentatoire aux libertés fondamentales

De nombreuses associations se sont élevées contre cette loi et son article 20 qui instaure un système de surveillance inédit en France. Le gros du débat portait – j\’emploie ici l\’imparfait puisqu’après la promulgation à marche forcée de cette loi, il n’y a plus de débat – sur les documents et informations tombant sous le coup de cette loi et par conséquent dans l\’escarcelle des écoutes administratives. La formulation particulièrement vague de l’article 20 laisse craindre le pire :

peut être autorisé le recueil (…) des informations ou documents traités ou conservés par leurs réseaux ou services de communications électroniques

Si on est pessimiste, et on a des raisons de l\’être, la LPM autorisera l\’interception et le stockage de tout message posté sur un forum, d\’emails hébergés chez laposte.net, orange, sfr ou tout autre service situé sur le sol français, et plus largement, de toute donnée stockée sur un serveur français. Lorsqu’on sait qu’OVH, une société française, est le plus gros hébergeur d\’Europe, ça va en faire des informations et documents à récupérer et analyser pour nos barbouzes dopés à la LPM.

Cerise sur le gâteau, toutes ces informations peuvent être interceptées et récupérées sans aucun contrôle judiciaire. Seule une personnalité qualifiée placée auprès du Premier ministre valide les interceptions. Pas de panique, claironnent les défenseurs de cette loi, une commission administrative pourra demander a posteriori la suspension d’une écoute non justifiée. Et combien sont-ils dans cette commission ? Huit. Huit personnes en France vont donc statuer sur des centaines voire des milliers de demandes d’écoutes lancées par nos super barbouzes pour des motifs aussi vagues que “la sécurité nationale, la sauvegarde des éléments essentiel du potentiel économique de la France, ou la prévention du terrorisme, la criminalité et la délinquance organisées et la reconstitution ou le maintien de groupement dissous”.

Un échec pour la démocratie

Une fois la loi passée, il restait le recours du Conseil constitutionnel. Celui-ci peut-être sollicité par les parlementaires et se prononcer sur la non-constitutionnalité d\’une loi. Le cabinet du député Xavier Bertrand s\’y est collé et a donc rédigé un texte de saisine. Il fallait 60 signatures de parlementaires, députés ou sénateurs, pour que celui-ci soit porté devant le Conseil.

L’article 10 de la Constitution stipule que le président de la république française dispose de 15 jours pour promulguer une loi une fois celle-ci votée par les deux chambres. Il existe une pratique républicaine qui veut que lorsque une saisine est en cours, le président accorde l\’intégralité de ce délais aux parlementaires pour la signer. Trop pressé d’éviter de voir cette loi examinée par le Conseil constitutionnel, le gouvernement n’aura laissé que 9 jours aux parlementaires pour signer la saisine, en totale contradiction avec l’usage républicain en vigueur jusqu’alors. Cest une première, et je suis navré qu’un gouvernement socialiste ait eu la primeur d’un mouvement aussi mesquin.

Nous étions pourtant proches d\’obtenir ces 60 signatures. La société civile, par le biais d’ONG, la FIDH, la LDH, la Quadrature du net ou Reporters sans frontières, a massivement appelé les députés à  signer cette saisine. Appelé au sens propre.

Premier coup dur : les députés PS, la tête bien haute et le doigt sur la couture, ont tous refusé de signer la saisine, ne souhaitant pas mettre en échec une loi rédigée par leur propre camp.

Deuxième coup dur : Christian Jacob, président du groupe UMP à l’assemblée Nationale a ordonné à ses troupes de ne pas signer. Heureusement, les députés ne sont pas des militaires et ne sont pas sommés d\’obéir aux ordres, sauf au PS lorsque celui-ci est en responsabilité. Certains parlementaire UMP ont donc signé. Peu. Trop peu.

Malgré ces manœuvres politiciennes et grâce à la mobilisation de ces derniers jours, la saisine de Xavier Bertrand avait quand même recueillie 48 signatures de députés de droite ou de l\’UDI. Ces signatures ajoutées à celles des députés du Groupe Europe écologie les verts,  favorable à l\’examen du texte par le Conseil constitutionnel, auraient été suffisantes pour valider la saisine. Troisième et dernier coup dur – fatal celui-ci – aucun des deux camps ne souhaitait voir sa signature apposée aux côtés de celle de l\’autre. Les verts n\’ont donc pas signé et la LPM a été promulguée.

Les députés de droite et de gauche ont témoigné ces derniers jours de leur incapacité à s’entendre sur un enjeu qui dépasse de loin  le clivage politique gauche droite : la défense de nos libertés fondamentales. Pour toutes ces raisons, la loi de programmation militaire et sa promulgation hâtive est un échec pour la démocratie.

Mise à jour #1 : réaction du gouvernement

Le gouvernement publie une réaction à la mobilisation de la société civile contre la loi de programmation militaire :

Mise à jour #2 : Erratum

On me signale une confusion. La vidéo précédente n’est pas une déclaration du gouvernement mais bien une chanson d’un artiste français. La réaction du gouvernement est visible ci-dessous :

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  • 5 ans chez Reporters sans frontières

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