le journalisme, c’est plus c’que c’était ma bonne dame
25 mai 2008 5 commentairescrise,
stupeur,
désarroi,
paralysie… sont quelques uns des mots utilisés pour décrire la situation. Dans son billet, À Lille, stupeur et désarroi des journalistes, Narvic pointe un paradoxe qui explique – en partie- la face moribonde du journalisme :
37.301 journalistes encartés (sans compter tous les autres), des professionnels, techniciens de l’information… et quelques dizaines de journalistes-blogueurs seulement !.
Dur constat qui démontre que cette profession n’a pas su s’adapter à internet. À ce propos, je voudrais partager une anecdote personnelle qui ne fait que renforcer ce constat.
Il y a quelques temps, j’ai eu l’opportunité de discuter avec la responsable des rédactions web d’un grand groupe de presse français. C’était – et je ne devrais évidemment pas le dire – à l’occasion d’un entretien d’embauche. Après quelques minutes d’entretien, il s’est avéré que mon profil ne correspondait pas ou plus au poste proposé. Comme je ne voulais pas avoir fait tout ce trajet pour rien, j’ai taillé le bout de gras mon interlocutrice et nous avons eu une discussion assez libre sur l’info en ligne et le métier de journaliste.
Evidemment nous n’avions pas le même point de vue. Même si il fut un temps j’ai exercé le métier de rédacteur et même si je suis un littéraire avant d’être un technicien, je n’ai jamais vraiment été journaliste. Elle, par contre, c’était une journaliste pur jus qui avait déjà exercé ce métier depuis plus longtemps que moi je n’avais travaillé jusqu’alors. Lors de notre discussion « libre », ses propos m’ont vraiment estomaqués. Puis après réflexion, pas tant ça. Ils reflétaient finalement assez bien une certaine idée que se font la plupart des journalistes de leur profession. Je m’explique.
Après que l’entretien eut tourné court, je me suis mis à parler des nouveaux formats d’articles que nous expérimentions chez CNET. J’ai parlé en particulier d’un article rédigé par Mohamed Afiri, journaliste chez CNET France, sur l’utilisation de l’iphone: Six utilisateurs nous parlent de leur iPhone. Pour cet article, comme son titre l’indique, Mohamed a reccueilli des témoignages d’utilisateurs et les a publiés en les titrant avec le type profil de l’utilisateur d’iphone : « Le pragmatique », « le curieux », « l’avant-gardiste »… etc. J’expliquais à la responsable des rédactions web de ce groupe que c’était typiquement ce genre d’articles que je trouvais pertinent sur internet, à savoir un journaliste qui valorise intelligemment du contenu utilisateur. C’est pertinent, c’est sous contrôle de la rédaction et ça valorise les utilisateurs qui ont participé à la rédaction de l’article.
Son opinion à elle était radicalement différente et, je le répète, très symptomatique à mon sens de l’état d’esprit de la plupart des journalistes vis-à-vis d’internet :
On ne peut pas mettre sur le même plan les propos d’un journaliste qui a bossé son sujet et les propos d’utilisateurs qui viennent déposer leur commentaire sur un site. Il faut les comprendre les journalistes : ils ont un ego, ça fait 10 ou 15 ans qu’ils font ce métier et là quelques utilisateurs tiendraient dans les commentaires des propos plus pertinents que les leurs ? C’est dur à admettre. [1]
Evidemment ce n’est pas ma position. Je pense non seulement qu’un utilisateur lambda peut avoir un avis plus pertinent qu’un journaliste sur un sujet donné mais je pense également que c’est l’essence même du métier de journaliste que de faire émerger ces perles et de les publier.
Non mais c’est quoi ces journalistes enfermés dans leur tour d’ivoire ?! Journaliste, ce n’est pas expert. Journaliste c’est passeur. Le rôle du journaliste n’est pas de décréter mais d’informer. Et si un lecteur lambda peut apporter une information supplémentaire, pertinente et vérifiée sur un sujet déjà traité par un journaliste, le journaliste doit savoir mettre son gros ego de côté et accepter de ne pas être le seul à connaître un sujet. Cela s’appelle enrichir l’information.
A titre d’exemple et pour prouver à mon interlocutrice sus-citée que même des sites médias d’actualité sérieux enrichissent leurs articles avec les commentaires de leurs utilisateurs (oui, vous chez cnet, c’est du consummer, c’est pas des sujets sensibles. Nous c’est de l’actu, dès qu’on parle politique ou religion, il faut savoir que ça dérive toujours
, me suis-je entendu dire), je citerais l’exemple de Rue89 qui ouvre systématiquement ses commentaires aux internautes, quelque soit le sujet traité. Backchich, un autre site d’actu généraliste, « s’abaisse » à utiliser les contributions des internautes en faisant régulièrement une synthèse des commentaires des lecteurs sur les articles les plus commentés de la semaine et ce, sur des sujets très chauds comme celui-ci, celui-là ou encore celui-là (Rue89 le fait également depuis quelques temps et ZDNet.fr a également pris cette nouvelle et bonne habitude).
Dans les formats innovants, pour peu qu’on s’affranchisse des carcans traditionnels du journalisme et du papier, je reprendrai l’exemple de Rue89 (encore) et de leur format d’article mis à jour en temps réel, pour relater et réagir à chaud à l’intervention de notre président de la République. Et pour parler un peu de CNET, l’un de nos journalistees, Christophe Guillemin, pourtant peu habitué à ce genre d’exercice a inauguré un nouveau format d’article (nouveau chez ZDNet.fr) entre journalisme et blog avec son article Pourquoi Ubuntu 8.04 m’a convaincu dans lequel il s’exprime à la première personne, loin des règles du journalisme « traditionnel » (objectivité, relater les faits, pas prendre partie… blablabla) et explique pourquoi en tant que particulier, il utilise chez lui un linux plutôt qu’un Windows. Ce n’est pas vraiment une information, mais ça a été l’un des articles les plus commentés de ZDNet.fr la semaine de sa parution.
Si la presse en ligne veut survivre, il faut qu’elle évolue, qu’elle essaye de nouveaux formats et qu’elle saisisse les opportunités offertes par ce nouveau média qu’est internet Si les journalistes du groupe de presse où j’ai passé cet entretien veulent exercer leur métier pour encore 10 ou 15 ans, il faut qu’ils acceptent de mettre les commentaires de leurs lecteurs à côté de leurs articles et qu’ils comprennent que leur métier a déjà changé.
Pour creuser le sujet sur le rôle de journaliste dans la presse d’information et son évolution, je vous recommande le très long et très bon article du New Yorker Out of print ou son digest, par Benoît Raphaël : La mort des journaux… Et d’un certain journalisme ?
ainsi que celui de Narvic : Où se joue la bataille de l’information ? Le buzz idiot !
- Je rapporte ces propos tels que dans mon souvenir. Je précise que ça fait un bout de temps que cet épisode a eu lieu, donc si la responsable des rédactions web de ce groupe se reconnaît, qu’elle n’hésite pas à clarifier sa position ou à me rectifier si jamais j’ai mal interprété ses propos
J’aime bien ça avec le web : quand ceux que vous lisez vous lisent aussi..
Je suis abonné à Barbablog depuis un bon moment. Et ça va continuer… 😉
Merci Narvic. Comme tu as pu le deviner, je suis de mon côté un de tes lecteurs. 🙂
Tiens, y’a du bisounoursage dans ces commentaires.
Concernant le fond, il est normal que ça se chamaille puisqu’on essaye de mettre sur le même niveau un professionnel et un amateur. À mon sens, il faudrait pouvoir indiquer clairement qu’il s’agisse d’un journaliste ou du quidam. Non pas que le second raconte plus de bêtises que le premier, mais parce que c’est justement pas son métier: pas le temps, pas les sources d’information, pas l’expérience… Face à un journaliste, le lecteur est en droit de critiquer sa méthode de travail par exemple.
Juste une petite remarque sur la forme. Il serait plus informatif pour le lecteur de mettre les intitulés sur les liens « celui-ci », « celui-là »… Vous le faites très bien pour les autres liens. Comment puis-je savoir si le sujet va m’intéresser si vous le cacher derrière un gros mur ? N’est-il pas aussi plus pertinent pour le référencement ?
jus-2-fruits >>> pas complètement d’accord avec toi sur le fond :
.Et pourquoi ne critiquerait-on pas également les blogueurs ? Si un blogueur raconte n’importe quoi parce qu’il ne vérifie pas ses infos ou parce qu’il ne connaît pas son sujet, ses lecteurs (s’il en a) sont en droit de le critiquer. Je ne crois pas que le droit de critiquer le travail de quelqu’un (en bien comme en mal) doive prendre en considération le côté « est-ce un professionnel ou non ».
Sur la forme, par contre, je te rejoins. J’aurais dû effectivement faire des libellés plus explicites pour mes liens. Je parle à longueur de blog d’accessibilité, ce genre de détails en fait partie. Mea culpa.