Projet de loi sur le terrorisme : une certaine vision d’Internet

18 septembre 2014 , , , , 1 commentaire
Le projet de loi sur le terrorisme a été adopté ce jeudi 18 septembre, avec lui, l’article 9 et le blocage administratif de sites internet. C’est un recul pour la liberté de l’information.

Le projet de loi contre le terrorisme était débattu dans l’hémicycle dans le cadre d’une procédure accélérée. Cette procédure n’a pas – c’est un euphémisme – permis de créer les conditions nécessaires à un débat apaisé sur un sujet spécialement chargé en émotion.

L’Internet, c’est le mal

Au cours des débats, retranscrits en direct sur le site de l’Assemblée nationale et live twittés par de nombreux internautes avec les hashtag #directAN et #PJLTerrorisme les sorties de nombreux parlementaires de droite, comme de gauche, étaient révélateurs d’une certaine vision d’Internet : un espace hors norme, hors règle, qui corrompt, abîme, et dans lequel les pires monstres prennent vie, telle la fameuse figure du « Loup solitaire » si souvent invoquée dans les débats, ce jeune un peu perdu qui à force de consultation de forums et sites djihadiste s’auto-radicaliserait, tout seul dans sa chambre, jusqu’à prendre le premier vol pour la Syrie.

Internet, en tant que vecteur d’idées violentes et subversives doit donc être régulé. Passons sur l’article 4, dont Reporters sans frontières a déjà parlé, qui considère que la diffusion de propos incitant au terrorisme revêt un caractère aggravant lorsque celle-ci a lieu sur Internet et revenons sur l’article 9 et le blocage administratif de sites qui constitue pour nos parlementaires LA solution au terrorisme.

Le blocage administratif, CA NE MARCHE PAS

Puisqu’Internet crée des terroristes à la pelle, puisque les loups solitaires s’y multiplient, alors, il faut supprimer les sites qui parlent de terrorisme. L’article 9 prévoie donc le blocage administratif de sites internet. En deux mots, un éditeur pourra se voir ordonner la suppression de contenus par les autorités administratives. Si l’éditeur n’obtempère pas, ou s’il n’est pas identifié, c’est l’hébergeur du site pourra alors se voir notifier la suppression d’un contenu. Enfin, si cette solution soft ne convient pas, les autorités pourront réclamer le blocage du site, cette fois en passant par les fournisseurs d’accès. Non seulement cet article 9 va à l’encontre du principe de l’Etat de droit – à aucun moment un juge n’est sollicité dans cette procédure – mais le blocage est, on ne le répétera jamais assez, une solution inefficace.

La solution envisagée par le ministère de l’Intérieur pour bloquer les sites qui feront partie d’une liste noire repose sur le blocage DNS. Le contournement de blocage par DNS est trivial. Cette solution a été utilisée pour bloquer Twitter en Turquie début 2014. Après le le blocage du site de micro blogging, le nombre de tweets postés depuis la Turquie est demeuré inchangé. Cette mesure est non seulement inefficace mais engendre en plus des effets de bords non négligeables. : l’Afnic, l’organisme qui gère l’attribution des noms de domaine en France, a rendu un rapport sur le filtrage par DNS en janvier 2013. Qu’y découvre t-on ?

Il ressort de l’étude du conseil scientifique de l’Afnic que le filtrage DNS est une technique qui permet théoriquement de relocaliser au niveau d’un pays, ou d’un opérateur télécom, la décision d’autoriser ou d’interdire l’accès à un nom de domaine. Toutefois, le contournement de ces mesures est techniquement simple.

L’adoption de technologies comme DNSSEC pourrait également être perturbée. Enfin, les mesures prônées habituellement pour renforcer la confiance sur les sites de commerce électronique, notamment la vérification de l’URL dans la barre du navigateur, verraient leur efficacité atténuée.

L’Afnic elle-même considère cette mesure comme inefficace et de nature à diminuer la confiance dans les sites de e-commerce.

Enfin, comme le relevait Guéric Poncet sur le point point fr, la seule manière de coordonner le blocage de sites internet pour plusieurs fournisseurs d’accès, est d’établir une liste noire de sites, liste qui ne manquera pas de fuiter et constituera pour tous les loups solitaires et terroristes en herbe en mal d’inspiration djihadiste, un véritable graal idéologique.

Ce texte a été publié à l’origine sur le blog de Reporters sans frontières.

Réagissez

Si ce billet vous a plu ou si vous voulez apporter des précisions, ou si vous n’êtes pas d’accord avec ce que je raconte, c’est ici qu’il faut vous manifester. Je me réserve toutefois le droit de supprimer toute contribution insultante ou qui n’aurait rien à voir avec la choucroute.

Mentions

  • 5 ans chez Reporters sans frontières

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.