Le journalisme citoyen, « c’est de la merde »

27 septembre 2006 , , 9 commentaires
C’est pas moi qui le dit, c’est Laurent Gloaguen :

Si c’est ça faire du videocast et du journalisme citoyen, je dis c’est de la merde.

Petit rappel des faits pour ceux qui ne suivent pas les merveilleuses aventures de la blogeoisie.

Acte 1 : l’invitation

Pour l’édition 2006 de ses universités d’été des 23 et 24 août derniers, l’UMP décide d’inviter quelques blogueurs influents [1] histoire d’expérimenter en live le fameux concept du journalisme citoyen. Elle offre donc aux blogueurs un aller retour Paris-Marseille[2] ainsi que le droit de circuler librement dans les allées de l’université. Les blogueurs se rendent sur place, rencontrent quelques ténors de la droite, assistent aux conférences et accèdent même à l’immense privilège de pouvoir tailler le bout de gras avec Nicolas Sarkozy. Un blogueur écrit à ce propos :

Je suis assis par terre à 24,5 cm de Sarkozy, à cette distance, il ne peut pas me mentir et je peux compter les poils dans son nez.

C’est dire le niveau d’analyse moyen du blogueur journaliste citoyen. De tout ça il en ressort une sorte de mélasse, de bruit, d’anecdotes… rien de bien consistant. Pour un point de vue pertinent et détaillé de ce non-évènement, je vous invite à lire les billets de Jöel Ronez, la politique du pire, et de Daniel Schneiderman, Le jour où le big bang n’a pas eu lieu à Marseille.

Acte 2 : le debrief

3 semaines plus tard, l’UMP, véritable machine à communiquer qui ne laisse rien au hasard, invite les mêmes blogueurs à une réunion de débrieffing, à Paris cette fois. Au cours de cette réunion, une blogueuse militante, Natacha Quester-Séméon, vient jouer les trouble-fête. Elle sort son téléphone mobile dernier cri et filme le debrief. Les blogueurs qui adorent écrire et filmer les autres supportent mal qu’on les mette en scène. Certains refusent l’exercice mais Natacha insiste. Elle pose quelques questions poil à gratter et apostophe certains blogueurs qui tentent de se soustraire sur le ton « Il y a machin qui part, il essaie de s’échapper ». Quelques uns se plient de bonne grâce à l’interview et s’en tirent plutôt pas mal [3]. La vidéo est postée le 20 septembre sur le site de l’intéressée, memoire-vive.org. L’affaire pourrait s’arrêter là s’il n’y avait l’ego.

Laurent Gloaguen visiblement mécontent de sa performance vidéo-bloguo-visuelle poste quelques jours après un billet dans lequel il s’en prend à la jeune Natacha. Il lui reproche ses méthodes intrusives, son côté agressif et un certain manque de savoir-vivre. Une avalanche de commentaires s’abat alors sur son blog, lesquels lui reprochent en substance de critiquer l’attitude de Natacha Quester-Séméon. Laurent s’échauffe un peu et coupe les commentaires. Patatra, re-drame. Les commentateurs frustrés hurlent à la censure et continuent la curie sur mémoire-vive.org cette fois. Le pauvre Laurent essuie alors une nouvelle ventrée de reproches du genre « mais de quel droit oses-tu critiquer la gentille Natacha, espèce de sale machiste », ou « tu censures tes commentaires, c’est lâche ». Et je caricature à peine. L’un des commentateurs va jusqu’à comparer le méchant Laurent à l’implacable machine à censurer du ministère de l’information du roman de George Orwel, 1984 [4], en mélangeant un peu tout au passage :

Très surpris de cette affaire et de l’effacement des commentaires.
La réécriture de ce qui a eu lieu, et cette logique de falsification est une logique à la Orwell et au ministère de l’information de 1984, autrement dit elle est issue du stalinisme et de la doctrine Jdanov

Epilogue : une querelle d’ados

Tout se cristalise autour du billet et de la censure des commentaires du blog de Laurent Gloaguen. Pourtant, Laurent a tout a fait le droit de trouver la prestation Natacha Quester-Séméon intrusive et agressive. C’est son blog, il écrit bien ce qu’il veut. Laurent Gloaguen a également parfaitement le droit de censurer les commentaires de son blog. C’est son blog, il vire bien qui il veut. La seule limite à la liberté d’expression dans notre beau pays jusqu’à preuve du contraire, c’est lorsqu’il y a diffamation. Or il ne me semble pas que le méchant Laurent Gloaguen ait traîné la gentille Natacha dans la boue.

Enfin, je ne sais pas si Laurent est méchant et si Natacha est gentille. Je suis cependant sûr d’une chose : les rapports blogs/politique en sont pour l’instant au stade ingrat de l’adolescence. De l’invitation de blogueurs à l’université d’été de l’UMP, il ne reste aujourd’hui que cette lamentable petite affaire d’ego. Exactement comme lorsque nous avions 14 ans dans la cour de récré et que machin disait à truc que bidule il avait dit que machin il avait été méchant avec bidule. Ainsi, en conclusion je reprendrai le propos de Laurent Gloaguen, en le nuançant cependant : Le journalisme citoyen, pour l’instant, c’est vraiment de la merde.

  1. Loïc Lemeur, Laurent Gloaguen, Versac, Christophe Ginisty pour ne citer que les plus connus
  2. Bha oui, pour être blogueur influent, il faut habiter Paris
  3. Je pense au pro de la com’ et blogueur number one en France : Loïc Lemeur
  4. A lire absolument si ce n’est déjà fait

Réagissez

Si ce billet vous a plu ou si vous voulez apporter des précisions, ou si vous n’êtes pas d’accord avec ce que je raconte, c’est ici qu’il faut vous manifester. Je me réserve toutefois le droit de supprimer toute contribution insultante ou qui n’aurait rien à voir avec la choucroute.

  1. Bien vu, mais au-dela de la petite crise d’ego de chacun, je pense que cet énième blogfight est plus symptomatique qu’on ne le pense. Justement, ceci n’est pas une crise d’adolescence, mais un quasi aveu de détournement d’outils et de concepts :
    – Certains parmi les blogs qui ont le plus de poids ne sont pas des producteurs de contenus mais de puissantes machines à buzz et à visibilité s’auto-accélérant les uns / les autres
    – le jounalisme collaboratif et/ou citoyen devient un prétexte à créer une nouvelle élite de communicants, switchant les canaux traditionnels et mettant en avant leur supposée interactivité et proximité avec leurs lecteurs
    – contrairement à ce qui est martelé, les conseillers en communication ont très bien compris l’enjeu que ces supports représentent et l’intérêt de s’en rapprocher.

    Bref, comme le clown dans l’arène, est-ce que ces supposées crises d’ego(s) et d’adolescence ne sont pas juste un écran de fumée pour détourner l’attention de l’essentiel ?

  2. @ en ce moment je lis un excellent livre sur le café et j’apprends que le meilleur café serait le café Kenyan : pas trop corsé, pas trop amer, pas trop intense en arôme, mais néanmoins avec des saveurs fruités !

  3. Bonjour,
    je suis intéressé et deçus… A quand une analyse des systèmes de valeurs, à la Pierre Bourdieux ( in « Sur la Télévision »), appliquée à la blogosphère ?

  4. Fredmac>> c’est à dire que ici on est sur un blog. Pour une analyse bourdieusienne du système de domination du champs « blog », il faudrait effectivement plus qu’un billet. Il y a cependant des pistes chez Jean-Philippe.

    — Update : Anonyme, c’est moi, Grégoire —

  5. Je suis globalement d’accord avec jean-philippe sur la machine à buzz. Trop de blogueurs ont lu il y a quelques temps qu’il fallait écrire le plus souvent possible pour faire de l’audience. Oops… pour avoir des visiteurs… Re-oops : pour avoir des lecteurs. Finalement, comme je l’ai lu sur un blog dédié au référencement : sur certains blogs, c’est Adsense qui fait office de contenu 😉

  6. Anonyme>> justement, l’analyse (forcément trop courte) de Jean-Philippe est une mise en bouche (on gratte la couche superficielle pour mettre en avant les mécanismes)… à quand le plat de résistance ? Jen-Phillippe si tu nous lis…
    Par contre, je crois que le blog est l’outil qui « devrait » permettre, par le « dialogue/la dynamique » qu’il instaure avec son lectorat, de faire ce type d’analyse. Mais peut être suis-je naïf… De plus l’objet de ce blog ci n’est-il pas « Blogs, politiques et webdesign » ? Je crois que nous sommes en plein dans le sujet, non ?

  7. Fredmac >> « Anonyme » c’est moi, petite erreur de manip…
    Je suis à moitié d’accord avec toi. Les blogs génèrent quelques analyses intéressantes mais aussi beaucoup de bruit. A mon sens, c’est un bon outil pour mettre en évidence des problématiques intéressantes/inédites, mais pour y répondre de manière structurée et dépassionée, ce n’est clairement pas le bon endroit, en tout cas pour l’instant. « L’affaire » dont je parle dans ce billet en est un exemple criant.

    Je suis encore un peu old school : je crois plus au médium papier pour de longues analyses argumentées qu’au medium internet / blog. C’est aussi une question de rythme – on ne publie pas un bouquin à la même vitesse qu’un billet. Ca donne le temps de poser sa réflexion.

  8. Oui, nous sommes d’accord sur l’essentiel quand à « l’affaire », néanmoins je persiste : le blog est l’outil pertinent non pas parce qu’il ne permettrait pas une analyse exhaustive – il s’agit ici de la question de la « place » ou de la taille. Uun blog dispose probablement d’un espace de stockage suffisant contrairement au « papier » qui n’est pas extensible ad hoc (la pagination est relativement finie) – mais bien parce qu’il génère une dynamique (c’est l’état du rapport au lectorat : ses « interactions ») que l’on ne retrouve pas sur les supports « classiques ». C’est bien la présence de cette dynamique, ce que nous sommes en train de faire par ailleurs, qui me semble distinguer ce média/support des autres ; l’utilisation du média « papier » est autrement plus compliquée et contraignante, ne serait-ce que lorsqu’il s’agit de trouver un éditeur ou encore une pige. Avec le blog point de cela… ce qui ne signifie pas, à contrario, qu’il soit nécessaire et intelligent d’écrire tout et n’importe quoi.
    PS : désolé pour mes phrases à tiroirs…

  9. […] de bien passionnant, on a déjà vu une invitation massive de blogueur l’année dernière aux universités d’été de l’UMP. Heureusement, Rue89 et David Abiker sont là pour soulever la question : quid de […]

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